Sam était hors de lui. « Je continue tout droit, Monsieur Frodon ! s’écria-t-il. Je vais voir ce qui se passe. Je veux trouver mon vieux. »

« Nous devrions d’abord découvrir ce qui nous attend, Sam, dit Merry. Je présume que le « chef » aura une bande de coquins tout prêts. Nous ferions mieux de trouver quelqu’un qui nous dira comment sont les choses par ici. »

Mais, dans le village de Lézeau, toutes les maisons et tous les trous étaient fermés, et il n’y avait personne pour les accueillir. Ils en furent étonnés, mais ils en découvrirent bientôt la raison. En atteignant Le Dragon vert, dernière maison du côté de Hobbitebourg, à présent déserte et les fenêtres brisées, ils eurent le désagrément de voir une demi-douzaine d’Hommes de mauvaise mine, vautrés contre le mur de l’auberge, ils louchaient et avaient le visage olivâtre.

« Comme cet ami de Bill Fougeron à Bree », dit Sam.

« Comme bon nombre que j’ai vus à Isengard », murmura Merry.

 

Les bandits portaient des massues à la main et des cors à la ceinture, mais ils n’avaient pas d’autres armes visibles. À l’approche des voyageurs, ils quittèrent le mur et s’avancèrent sur le chemin la route pour barrer le chemin.

« Où croyez-vous aller ? dit l’un, le plus grand et le plus vilain de l’équipe. Il n’y a pas de route pour vous au-delà d’ici Et où sont ces beaux Shiriffes ? »

« Ils viennent tout gentiment, dit Merry. Ils ont peut-être un peu mal aux pieds. Nous avons promis de les attendre ici. »

« Allons donc, qu’est-ce que je disais ? dit le bandit à ses compagnons. J’ai prévenu Sharcoux qu’il ne fallait pas se fier à ces petits idiots. On aurait dû envoyer quelques-uns de nos gars. »

 

« Et quelle différence cela aurait-il fait, je vous prie ? demanda Merry. Nous ne sommes pas accoutumés aux voleurs de grand chemin dans ce pays, mais nous savons comment les traiter. »

« Voleurs de grand chemin, hé ? dit l’homme. Ah, c’est là votre ton ? Eh bien changez en, ou on le changera pour vous. Vous devenez trop arrogants, vous autres, petites personnes. Ne vous fiez pas trop au bon cœur du Patron. Sharcoux est arrivé à présent, et l’autre fera ce que dit celui-ci. »

« Et qu’est-ce donc ? » demanda tranquillement Frodon.

« Ce pays a besoin d’être réveillé et remis en ordre, dit le bandit, et Sharcoux va le faire, et il sera dur, si vous l’y poussez. Vous avez besoin d’un plus grand Patron. Et vous allez l’avoir avant la fin de l’année, s’il y a encore des difficultés. Et vous apprendrez une ou deux choses, sale petit rat. »

« Vraiment ! Je suis heureux de connaître vos projets, dit Frodon. Je suis en route pour aller voir M. Lothon, et il pourra être intéressé de les entendre, lui aussi. »

Le bandit rit. « Lothon ! Il le sait bien. N’ayez crainte. Il fera ce que dit Sharcoux. Parce que, si un Patron nous fait des ennuis, on peut le changer. Vu ? Et si les petites personnes cherchent à s’introduire où on ne les demande pas, on peut les empêcher de nuire. Vu ? »

« Oui, je vois, dit Frodon. Pour commencer, je vois que vous retardez et que vous ne connaissez pas les nouvelles, ici. Il s’est passé beaucoup de choses depuis que vous avez quitté le Sud. Votre temps est fini, comme celui de tous les autres bandits. La Tour Sombre est tombée, et il y a un Roi en Gondor. L’Isengard a été détruit, et votre beau maître n’est plus qu’un mendiant dans le désert. J’ai passé près de lui sur la route. Les messagers du Roi vont remonter le Chemin Vert à présent, et non plus les brutes de l’Isengard. »

L’homme le regarda avec incrédulité et sourit : « Un mendiant dans le désert ! dit-il, se moquant. Vraiment ? Crânez donc, crânez donc, mon petit coq. Mais cela ne nous empêchera pas de vivre dans ce gras petit pays où vous avez fainéanté assez longtemps. Et des messagers du Roi ! Voilà ce que j’en pense. (Il claqua des doigts au nez de Frodon.) Quand j’en verrai un, j’en tiendrai compte, peut-être. »

C’en était trop pour Pippin. Il revit en pensée le Champ de Cormallen, et voici qu’un bigle de coquin appelait le Porteur de l’Anneau « petit coq ». Il rejeta son manteau en arrière, tira son épée dans un éclair, et l’argent et sable de Gondor rayonna sur lui, comme il poussait son poney en avant.

« Je suis un messager du Roi, dit-il. Vous parlez à l’ami du Roi et une des personnes les plus renommées des pays de l’Ouest. Vous êtes un coquin et un imbécile. À genoux sur la route, et implorez votre pardon, sinon je vous plante ce fléau des trolls dans le corps ! »

L’épée étincela dans le soleil couchant. Merry et Sam tirèrent également l’épée et s’avancèrent pour soutenir Pippin, mais Frodon ne bougea pas. Les bandits reculèrent. Leur affaire avait été d’effrayer les paysans de Bree et de houspiller des hobbits désorientés. Des hobbits intrépides avec des épées brillantes et des visages menaçants leur étaient une grande surprise. Et il y avait dans la voix de ces nouveaux venus une note qu’ils n’avaient encore jamais entendue. Ils en furent transis de peur.

« Allez ! dit Merry. Si vous troublez encore ce village, vous le regretterez. » Les trois hobbits s’avancèrent, et les bandits firent demi-tour et s’enfuirent sur la Route de Hobbitebourg, mais, ce faisant, ils sonnèrent du cor.

« Eh bien, il était grand temps de rentrer », dit Merry.

« Grand temps. Peut-être est-il même trop tard, pour sauver Lothon en tout cas, dit Frodon. C’est un pauvre imbécile, mais je le plains. »

« Sauver Lothon ? Que veux-tu dire ? répliqua Pippin. Le détruire, dirais-je. »

« Je crois que tu ne comprends pas tout à fait, Pippin, dit Frodon. Lothon n’a jamais voulu que les choses en viennent là. Il a été un idiot néfaste, mais il est pris à présent. Les bandits sont à la tête, récoltant, volant et houspillant, et ils mènent ou ruinent les choses à leur guise, en son nom. Et même plus pour longtemps en son nom. Il doit être prisonnier à Cul de Sac, je pense, et très effrayé. On devrait essayer de le délivrer. »

« Ça alors, ça me renverse ! dit Pippin. De toutes les fins de notre voyage, c’est bien la dernière à laquelle j’aurais pensé : avoir à combattre des semi-orques et des bandits dans la Comté même pour délivrer Lothon la Pustule ! »

« Combattre ? dit Frodon. Eh bien, je suppose que les choses pourront en arriver là. Mais rappelle-toi : il ne doit y avoir aucune tuerie de hobbits, même s’ils ont passé à l’autre bord. Vraiment l’autre bord, je veux dire : pas seulement obéi aux ordres des bandits parce qu’ils ont peur. Aucun hobbit n’en a jamais tué un autre exprès dans la Comté, et cela ne doit pas commencer maintenant. Et personne du tout ne doit être tué si cela peut-être évité. Gardez votre sang-froid, et retenez vos mains jusqu’au dernier moment possible ! »

« Mais s’il y a beaucoup de ces bandits, dit Merry, cela voudra certainement dire un combat. Tu ne vas pas libérer Lothon, ou la Comté, simplement en étant choqué et contristé, mon cher Frodon. »

« Non, dit Pippin. Il ne sera pas aussi aisé de les effrayer une seconde fois. Ils ont été pris par surprise. Tu as entendu cette sonnerie de cor ? Il y a évidemment d’autres bandits à proximité. Ils seront beaucoup plus hardis quand ils seront plus nombreux. Il faudrait penser à nous abriter quelque part pour la nuit. Nous ne sommes que quatre, après tout, même si nous sommes armés. »

« Non ! dit Merry. Il ne sert à rien de « se mettre à l’abri ». C’est exactement ce que les gens ont fait et exactement ce que les bandits aiment. Ils nous tomberaient simplement dessus en force, nous coinceraient, puis nous feraient sortir ou nous brûleraient au piège. Non, il faut faire quelque chose tout de suite. »

« Faire quoi ? » demanda Pippin.

« Soulever la Comté ! dit Merry. Allons ! Il faut réveiller tous les nôtres ! Ils détestent tout cela, c’est visible : tous à l’exception d’un ou deux gredins et de quelques nigauds qui veulent être importants, mais ne comprennent rien à ce qui se passe réellement. Mais les gens de la Comté ont joui d’une telle tranquillité pendant si longtemps, qu’ils ne savent que faire. Ils ne demandent qu’à lutter pourtant, et ils vont s’embraser. Les Hommes du Chef doivent le savoir. Ils vont essayer de nous écraser et nous éteindre rapidement. Nous n’avons que très peu de temps. »

« Sam, cours à la ferme de Chaumine, si tu veux. C’est le personnage principal par ici, et le plus résolu. Allons ! Je vais sonner du cor de Rohan et leur faire entendre à tous une musique telle qu’ils n’en ont jamais entendu auparavant. »

Ils revinrent au milieu du village. Là, Sam quitta le groupe et prit au galop le chemin qui menait en direction du Sud vers chez Chaumine. Il n’était pas encore bien loin, qu’il entendit soudain retentir un clair appel de cor, qui se répercuta par-dessus collines et champs, et cet appel était si pressant que Sam lui-même faillit tourner bride pour revenir en hâte. Son poney se cabra et hennit.

« En avant, mon gars ! En avant ! cria-t-il. On reviendra vite. »

Puis il entendit Merry changer de note, et l’appel de cor du Pays de Bouc s’éleva, secouant l’air.

 

Debout ! Debout ! La peur, le feu, les ennemis ! Debout !

Le feu, les ennemis ! Debout !

 

Sam entendit derrière lui un tumulte de voix, un grand remue-ménage et des claquements de portes. Devant lui, des lumières jaillirent dans le crépuscule, des chiens aboyèrent, des pas accoururent. Avant qu’il n’eût atteint le bout du chemin, il vit se précipiter vers lui le Père Chaumine avec trois de ses gars, Tom le Jeune, Jolly et Nick. Ils portaient des haches et barraient la route.

« Non ! Ce n’est pas un de ces bandits, entendit-il dire au fermier. C’est un hobbit d’après sa taille, mais tout bizarrement vêtu. Holà ! cria-t-il. Qui êtes-vous, et qu’est-ce que tout ce raffut ? »

« C’est Sam, Sam Gamegie. Je suis revenu. »

Le Père Chaumine s’avança tout près et l’examina dans la pénombre. « Ah ça ! s’écria-t-il. La voix est bonne, et la figure n’est pas pire qu’autrefois, Sam. Mais je ne t’aurais pas reconnu dans la rue, accoutré comme ça. Tu es allé dans les pays étrangers, à ce qu’il semble. On craignait que tu ne sois mort. »

« Pour ça, non ! dit Sam. Ni Monsieur Frodon. Il est ici avec ses amis. Et c’est ça le raffut. Ils soulèvent la Comté. On va la nettoyer de ces bandits et de leur Chef aussi. On commence tout de suite. »

« Bon, bon ! s’écria le Père Chaumine. Alors, c’est enfin commencé ! J’ai eu des démangeaisons toute cette année, mais les gens ne voulaient pas aider. Et j’avais la femme et Rosie à penser. Ces bandits ne s’arrêtent devant rien. Mais allons-y, les gars ! Lézeau se lève ! Il faut être dans le coup ! »

« Et Mme Chaumine et Rosie ? dit Sam. Il n’est pas sûr de les laisser toutes seules. »

« Mon Nibs est avec elles. Mais tu peux aller lui prêter main-forte, si tu en as envie », dit le Père Chaumine avec un large sourire. Puis lui et ses fils coururent vers le village.

Sam alla vivement à la maison. Près de la grande porte ronde au haut des marches montant de la vaste cour, se tenaient Mme Chaumine et Rosie avec Nibs, armé d’une fourche, devant elles.

« C’est moi ! cria Sam, tout en montant au trot. Sam Gamegie ! Alors n’essaie pas de me piquer, Nibs. D’ailleurs, j’ai sur moi une cotte de mailles. »

Il sauta à bas de son poney et grimpa les marches. Ils le regardèrent les yeux écarquillés sans mot dire. « Bonsoir, Madame Chaumine ! dit-il. Salut, Rosie ! »

« Oh, Sam ! dit Rosie. D’où viens-tu ? On te disait mort, mais je t’attendais depuis le printemps. Tu ne t’es pas trop pressé, hein ? »

« Peut-être pas, dit Sam, interloqué. Mais je me presse maintenant. On se met après les bandits, et il faut que je rejoigne Monsieur Frodon.

Mais je voulais jeter un coup d’œil et voir comment allaient Mme Chaumine, et toi, Rosie. »

« On va bien, merci, dit Mme Chaumine. Ou on devrait, s’il n’y avait pas tous ces voleurs de bandits. »

« Eh bien, file ! dit Rosie. Si tu as veillé tout ce temps sur Monsieur Frodon, qu’as-tu besoin de le quitter dès que les choses commencent à être dangereuses ? »

Sam en eut le souffle coupé. Il fallait une réponse d’une semaine entière, ou rien du tout. Il fit demi-tour et remonta sur son poney. Mais, comme il repartait, Rosie descendit les marches en courant.

« Je trouve que tu as fort bon air, Sam, dit-elle. Va, maintenant ! Mais prends soin de toi, et reviens aussitôt que tu auras réglé leur compte aux bandits ! »

À son retour, Sam trouva tout le village en ébullition. Déjà, en dehors de nombreux garçons plus jeunes, une centaine ou davantage de robustes hobbits étaient rassemblés, munis de haches, de lourds marteaux, de long couteaux et de solides gourdins, et quelques-uns portaient des arcs de chasse. D’autres encore venaient de fermes écartées.

Des gens du village avaient allumé un grand feu, juste pour animer le tableau, mais aussi parce que c’était une des choses interdites par le Chef. Il flambait joyeusement dans la nuit tombante. D’autres, sous les ordres de Merry, dressaient des barrières en travers de la route aux deux extrémités du village. Quand les Shiriffes arrivèrent à celle du bas, ils furent abasourdis, mais aussitôt qu’ils virent ce qui se passait, la plupart retirèrent leurs plumes et se joignirent à la révolte. Les autres s’éclipsèrent.

Sam trouva Frodon et ses amis près du feu en train de parler au vieux Tom Chaumine, tandis qu’une foule d’habitants de Lézeau se tenaient autour d’eux, les yeux écarquillés.

« Alors, que fait-on ensuite ? » demanda le Père Chaumine.

« Je ne peux rien dire avant d’en savoir plus long, répondit Frodon. Combien y a-t-il de ces bandits ? »

« C’est difficile à dire, répondit Chaumine. Ils vont et viennent. Il y en a quelquefois une cinquantaine dans leurs baraquements sur le chemin de Hobbitebourg, mais ils en partent pour vagabonder alentour, à voler ou à « ramasser » comme ils appellent ça. Mais ils sont rarement moins d’une vingtaine autour du Patron, comme ils le nomment. Il est à Cul de Sac, ou il y était, mais il ne sort pas de la propriété, à présent. Personne ne l’a vu, en fait, depuis une ou deux semaines, mais les Hommes ne laissent approcher quiconque. »

« Hobbitebourg n’est pas le seul endroit où ils sont, n’est-ce pas ? » dit Pippin.

« Non, c’est d’autant plus regrettable, dit Chaumine. Il y en a un bon nombre dans le sud à Longoulet et au Gué de Sam, à ce qu’on dit, et d’autres se cachent dans le Bout des Bois, ils ont aussi des baraquements au Carrefour. Et puis, il y a les Trous prisons, qu’ils appellent ça : les anciens tunnels d’entreposage à Grand’Cave, qu’ils ont transformés en prisons pour ceux qui leur tiennent tête. Mais je pense qu’il n’y en a pas plus de trois cents en tout dans la Comté, peut-être même moins. On peut les avoir, si on est tous ensemble. »

« Ont-ils des armes ? » demanda Merry.

« Des fouets, des couteaux, des massues en suffisance pour leur sale travail, c’est tout ce qu’ils ont exhibé jusqu’à présent, dit Chaumine. Mais je suppose qu’ils ont un autre équipement, s’il s’agissait de se battre. Certains ont des arcs, en tout cas. Ils ont abattu un ou deux des nôtres. »

« Et voilà, Frodon ! dit Merry. Je savais bien qu’il faudrait se battre. Eh bien, c’est eux qui ont commencé à tuer. »

« Pas exactement, dit Chaumine. En tout cas pas à tirer. Ce sont les Touque qui ont commencé ça. Votre pays, voyez-vous, Monsieur Peregrïn, il n’a jamais frayé avec ce Lothon, cela dès le début : Il disait que si quelqu’un devait jouer les chefs à cette heure, ce serait le véritable Thain de la Comté et non un parvenu. Et quand Lothon a envoyé ses Hommes, ils y ont perdu leur peine. Les Touque ont de la chance d’avoir ces trous profonds dans les Collines Vertes, les Grands Smials et tout, et les bandits ne peuvent les atteindre, et ils ne laissent pas les bandits pénétrer sur leurs terres. S’ils s’y risquent, les Touque leur font la chasse. Les Touque en ont abattu trois pour avoir rôdé et volé. Après cela, les bandits sont devenus plus mauvais. Et ils surveillent d’assez près le Pays de Touque. Personne ne peut y entrer ou en sortir, à présent. »

« Bravo pour les Touque ! s’écria Pippin. Mais quelqu’un va entrer de nouveau, maintenant. Je vais aux Smials. Quelqu’un m’accompagnera-t-il à Bourg de Touque ? »

Pippin s’en fut avec une demi-douzaine de gars sur des poneys. « À bientôt ! cria-t-il. Ça ne fait que quatorze milles environ par les champs. Je vous ramènerai une armée de Touque dans la matinée. » Merry lança derrière eux une sonnerie de cor, comme ils s’éloignaient dans la nuit tombante. Les gens poussèrent des acclamations.

« Tout de même, dit Frodon à tous ceux qui se trouvaient autour de lui, j’aimerais qu’il n’y ait pas de tuerie, pas même des bandits, à moins que ce ne soit nécessaire pour les empêcher de faire du mal à des hobbits. »

« Bon ! dit Merry. Mais on va recevoir une visite de la bande de Hobbitebourg d’un instant à l’autre, maintenant, je pense. Ils ne vont pas venir simplement pour discuter. On essayera d’en venir à bout avec dextérité, mais il faut être prêts au pire. Or, j’ai un plan. »

« Très bien, dit Frodon. Charge-toi des dispositions. »

À ce moment même, des hobbits qui avaient été envoyés vers Hobbitebourg arrivèrent en courant. « Ils viennent ! dirent-ils. Une vingtaine au moins. Mais deux sont partis vers l’ouest à travers champs. »

« Ce doit être vers le Carrefour, dit Chaumine, pour en chercher d’autres. Eh bien, ça fait quinze milles dans les deux sens. Il n’y a pas à se préoccuper d’eux pour l’instant. »

Merry se hâta d’aller donner des ordres. Le Père Chaumine fit place nette dans la rue, renvoyant chacun chez soi, hormis les plus vieux hobbits qui avaient des armes de quelque sorte. Ils n’eurent pas longtemps à attendre. Ils entendirent bientôt des voix fortes, puis un piétinement lourd, et tout un peloton de bandits descendit la route. À la vue de la barrière, ils s’esclaffèrent. Ils n’imaginaient pas que rien dans ce petit pays pût tenir contre une vingtaine de leur espèce réunis.

Les hobbits ouvrirent la barrière et s’écartèrent. « Merci ! dirent les Hommes par moquerie. Et maintenant, rentrez vite vous coucher si vous ne voulez pas recevoir le fouet. » Puis ils parcoururent la rue, criant : « Éteignez ces lumières ! Rentrez chez vous et restez-y ! Ou on emmènera cinquante d’entre vous aux Trous prisons pour un an. Rentrez ! Le Patron commence à perdre patience. »

Personne ne tint compte de leurs injonctions, mais, au fur et à mesure du passage des bandits, ils se rejoignaient tranquillement derrière eux pour les suivre. Quand les Hommes atteignirent le feu, le Père Chaumine se tenait là tout seul, à se chauffer les mains.

« Qui êtes-vous, et que faites-vous là ? » dit le chef des bandits.

Le Père Chaumine le regarda posément. « C’est exactement ce que j’allais vous demander, dit-il. Ce n’est pas votre pays, et on ne vous veut pas. »

« Eh bien, nous vous voulons en tout cas, dit le chef. On vous veut. Saisissez le, les gars ! Les Trous prisons pour lui, et donnez-lui en pour le faire tenir tranquille ! »

Les Hommes firent un pas, mais s’arrêtèrent court. Une clameur s’élevait tout autour d’eux, et ils se rendirent brusquement compte que le Père Chaumine n’était pas seul. Ils étaient cernés. Dans l’obscurité en bordure de la lumière du feu se tenait un cercle de hobbits, surgis de l’ombre. Ils étaient près de deux cents, tous munis d’une arme.

Merry s’avança. « Nous nous sommes déjà rencontrés, dit-il au chef, et je vous avais averti de ne pas revenir. Je vous préviens de nouveau : vous êtes en pleine lumière et vous êtes entouré d’archers. Si vous portez un seul doigt sur ce fermier ou sur quiconque d’autre, vous serez immédiatement abattu. Déposez toutes les armes que vous pourriez avoir ! »

Le chef jeta un regard circulaire. Il était pris au piège. Mais il n’était pas effrayé, avec une vingtaine des siens pour l’appuyer. Il connaissait trop peu les hobbits pour comprendre le danger où il était. Il décida stupidement de se battre. Il serait facile de se frayer un chemin de retraite.

« Sus à eux ! cria-t-il. Donnez-leur leur compte ! »

Un long couteau dans une main et un gourdin dans l’autre, il se précipita sur le cercle, essayant de le rompre pour regagner Hobbitebourg. Il voulut porter un coup sauvage à Merry qui lui barrait le passage. Il tomba mort, percé de quatre flèches.

C’en fut assez pour les autres. Ils se rendirent. On leur enleva leurs armes, on les lia les uns aux autres, et ils furent emmenés à une cabane vide qu’ils avaient eux-mêmes construite, là, ils furent solidement ligotés et enfermés sous bonne garde. Le chef mort fut traîné à l’écart et enterré.

« Ça paraît presque trop facile après tout, hein ? dit Chaumine. J’avais dit qu’on pouvait les mater. Mais on avait besoin d’un appel. Vous êtes revenu juste à point, Monsieur Merry. »

« Il y a encore beaucoup à faire, répondit Merry. Si votre compte est exact, nous n’en avons encore liquidé que le dixième. Mais il fait nuit à présent. Je pense que le prochain coup devra attendre le matin. Il faudra alors rendre visite au Chef. »

« Pourquoi pas tout de suite ? dit Sam. Il n’est guère plus de six heures. Et je veux voir mon vieux. Savez-vous ce qu’il est advenu de lui, Monsieur Chaumine ? »

« Il n’est pas trop bien, et pas trop mal, Sam, dit le fermier. Ils ont défoncé le Chemin des Trous du Talus, et ça lui a porté un rude coup. Il est dans une de ces nouvelles maisons que les Hommes du Chef construisaient quand ils faisaient encore autre chose que brûler et voler : pas à plus d’un mille du bout de Lézeau. Mais il vient me voir, quand il en a la possibilité, et je veille à ce qu’il soit mieux nourri que certains de ces pauvres types. Tout à fait contre Les Règles, bien sûr. Je l’aurais bien pris avec moi, mais ce n’était pas permis. »

« Je vous remercie de tout cœur, Monsieur Chaumine, et je ne l’oublierai jamais, dit Sam. Mais je veux le voir. Le Patron et ce Sharcoux, dont ils ont parlé, ils pourraient faire quelque malheur là-bas avant le matin. »

« Bon, Sam, dit Chaumine. Choisis un gars ou deux, et amène le chez moi. Tu n’auras pas besoin d’approcher du vieux village de Hobbitebourg de l’autre côté de l’Eau. Mon Jolly, ici présent, te montrera. »

Sam partit. Merry établit une surveillance autour du village et des gardes aux barrières pour la nuit. Après quoi, lui et Frodon s’en furent avec le Père Chaumine. Ils s’assirent avec la famille dans la chaude cuisine, et les Chaumine posèrent quelques questions de politesse sur leurs voyages, mais n’écoutèrent guère les réponses : ils se préoccupaient beaucoup plus des événements de la Comté.

« Tout a commencé avec La Pustule, comme on l’appelle, dit le Père Chaumine, et ça a commencé aussitôt après votre départ, Monsieur Frodon. Il avait de drôles d’idées, ce La Pustule. Il semble qu’il voulait tout posséder en personne, et puis faire marcher les autres. Il se révéla bientôt qu’il en avait déjà plus qu’il n’était bon pour lui, et il était tout le temps à en raccrocher davantage, et c’était un mystère d’où il tirait l’argent : des moulins et des malteries, des auberges, des fermes et des plantations d’herbe. Il avait déjà acheté le moulin de Rouquin avant de venir à Cul de Sac, apparemment.

« Il avait commencé, bien sûr, par une masse de propriétés dans le Quartier Sud, qu’il avait eues de son papa, et il semble qu’il vendait un tas de la meilleure feuille, et qu’il l’envoyait en douce au loin depuis un an ou deux. Mais à la fin de l’année dernière, il avait commencé à envoyer des tas de marchandises, pas seulement de l’herbe. Les choses commencèrent à se raréfier, et l’hiver venait, aussi. Les gens s’en irritèrent, mais il avait une réponse toute prête. Un grand nombre d’Hommes, pour la plupart des bandits, vinrent avec de grandes charrettes, les uns pour emporter les marchandises au loin dans le Sud, d’autres pour rester. Et il en vint davantage. Et avant qu’on sût où on en était, ils étaient plantés par-ci par-là dans toute la Comté, et ils abattaient des arbres, creusaient, se construisaient des baraquements et des maisons exactement selon leur bon plaisir. Au début, les marchandises et les dommages furent payés par La Pustule, mais ils ne tardèrent pas à tout régenter partout et à prendre ce qu’ils voulaient.

« Et puis il y eut quelques troubles, mais pas suffisamment. Le vieux Will le Maire partit pour Cul de Sac afin de protester mais il n’y arriva jamais. Des bandits mirent la main sur lui et l’enfermèrent dans un trou à Grand’Cave, où il est toujours. Après cela, c’était peu après le Nouvel An, il n’y eut plus de Maire et La Pustule s’appela Shiriffe en Chef, ou simplement Chef, et fit ce qui lui plaisait, et si quelqu’un se montrait « arrogant », comme ils disaient, il prenait le même chemin que Will. Ainsi, tout alla de mal en pis. Il ne restait plus rien à fumer, sinon pour les Hommes, et le Chef, qui n’en tenait pas pour la bière, sauf pour ses Hommes, ferma toutes les auberges, et tout, à part les Règles, devint de plus en plus rare, à moins qu’on ne pût cacher un peu de ce qui nous appartenait, quand les bandits faisaient leur tournée de ramassage pour « une juste distribution » : ce qui signifiait qu’ils l’avaient et pas nous, excepté les restes qu’on obtenait aux Maisons des Shiriffes, si on pouvait les avaler. Tout était très mauvais. Mais, depuis l’arrivée de Sharcoux, ç’a été la ruine pure. »

« Qui est ce Sharcoux ? demanda Merry. J’ai entendu parler de lui par l’un des bandits. »

« Le plus grand bandit de tout le tas, semble-t-il, répondit Chaumine. C’est vers la dernière moisson, à la fin de Septembre peut-être, qu’on a entendu parler de lui pour la première fois. On ne l’a jamais vu, mais il est là-haut à Cul de Sac, et c’est lui le véritable Chef à présent, je pense. Tous les bandits font ce qu’il ordonne, et ce qu’il ordonne, c’est surtout : taillez, brûlez et ruinez, et maintenant, ça en vient à tuer. Il n’y a plus même de mauvaises raisons. Ils coupent les arbres et les laissent là, ils brûlent les maisons et ne construisent plus.

« Prenez le moulin de Rouquin, par exemple. La Pustule l’a abattu presque dès son arrivée à Cul de Sac. Puis il a amené un tas d’hommes malpropres pour en bâtir un plus grand et le remplir de roues et de machins étrangers. Seul cet idiot de Tom a été content, et il travaille à astiquer les roues pour les Hommes, là où son papa était le Meunier et son propre maître. L’idée de La Pustule était de moudre davantage et plus vite, ou c’est ce qu’il disait. Il a d’autres moulins semblables. Mais il faut avoir du blé pour moudre, et il n’y en avait pas plus pour le nouveau moulin que pour l’ancien. Mais depuis l’arrivée de Sharcoux on ne moud plus de grain du tout. Ils sont toujours à marteler et à émettre de la fumée et de la puanteur, et il n’y a plus de paix à Hobbitebourg, même la nuit. Et ils déversent des ordures exprès, ils ont pollué toute l’Eau inférieure, et ça descend jusque dans le Brandevin. S’ils veulent faire de la Comté un désert, ils prennent le chemin le plus court. Je ne crois pas que cet idiot de La Pustule soit derrière tout cela. C’est Sharcoux, m’est avis. »

« C’est exact ! dit le Jeune Tom, intervenant. Ils ont même emmené la vieille maman de La Pustule, cette Lobelia, et il l’aimait bien, s’il était le seul. Des types de Hobbitebourg l’ont vue. Elle a descendu le chemin avec son vieux parapluie. Quelques bandits montaient avec une grande charrette.

« Où allez-vous ? » demanda-t-elle.

« À Cul de Sac », qu’ils répondent.

« Pour quoi faire ? » dit-elle.

« Pour monter des hangars pour Sharcoux », qu’ils disent.

« Qui vous l’a permis ? » demanda-t-elle.

« Sharcoux, qu’ils répondent. Alors sortez de la route, vieille chicaneuse ! »

« Je vais vous donner du Sharcoux, sales voleurs de bandits ! » qu’elle dit, et la voilà qui brandit son parapluie et tombe sur le chef, qui était bien deux fois plus grand qu’elle. Alors ils l’ont prise. Ils l’ont entraînée aux Trous-prisons, et à son âge ! Ils en ont pris d’autres qu’on regrette davantage, mais y a pas à nier qu’elle ait montré plus de cran que la plupart. »

Au milieu de cette conversation, vint Sam, tout bouillant, avec son ancien. Le Vieux Gamegie ne paraissait pas avoir pris beaucoup d’âge, mais il était un peu plus sourd.

« Bonsoir, Monsieur Sacquet ! dit-il. Je suis bien heureux vraiment de vous voir revenu sain et sauf. Mais j’ai un petit compte à régler avec vous en quelque sorte, sauf votre respect. Vous auriez jamais dû vendre Cul de Sac, je l’ai toujours dit. C’est de ça qu’est parti tout le mal. Et pendant que vous alliez vagabonder dans les pays étrangers, à chasser les Hommes Noirs dans les montagnes, à ce que dit mon Sam et pourquoi, il ne me l’a pas trop expliqué ils sont venus défoncer le Chemin des Trous du Talus et ruiner mes patates ! »

« Je suis navré, Monsieur Gamegie, dit Frodon. Mais maintenant que je suis rentré, je ferai de mon mieux pour vous dédommager. »

« Ah bien, vous ne pouvez dire mieux, répondit l’Ancien. M. Frodon Sacquet est un vrai gentil hobbit, j’ai toujours dit ça, quoi qu’on puisse penser d’autres gens du même nom, sauf votre respect. Et j’espère que mon Sam s’est bien conduit et qu’il vous a donné satisfaction ? »

« Parfaite satisfaction, Monsieur Gamegie, dit Frodon. En fait, si vous voulez bien me croire, il est maintenant un des personnages les plus fameux dans tous les pays, et on fait des chansons sur ses exploits d’ici à la Mer et au-delà du Grand Fleuve. » Sam rougit, mais il jeta un regard reconnaissant à Frodon, car les yeux de Rosie brillaient, et elle lui souriait.

« Ça fait beaucoup à croire, dit l’Ancien, quoique je voie qu’il a été mêlé à une étrange compagnie. Qu’est devenu son gilet ? Je ne suis pas beaucoup pour porter de la quincaillerie, qu’elle fasse bon usage ou non. »

La maisonnée du Père Chaumine et tous ses hôtes furent sur pied de bonne heure le lendemain matin. On n’avait rien entendu durant la nuit, mais d’autres ennuis surviendraient certainement avant peu. « Il semble qu’il ne reste aucun bandit à Cul de Sac, dit Chaumine, mais la bande de Carrefour sera ici d’un moment à l’autre, maintenant. »

Après le petit déjeuner, un messager arriva du Pays de Touque. Il était plein d’entrain. « Le Thain a levé tout notre pays, dit-il, et la nouvelle se répand de tous côtés comme une traînée de poudre. Les bandits qui nous observaient se sont enfuis vers le sud, du moins ceux qui se sont échappés vivants. Le Thain les a poursuivis pour tenir à distance la bande qui se trouve là-bas, mais il a renvoyé M. Peregrïn avec tous les autres gens dont il peut se passer. »

La nouvelle suivante fut moins bonne. Merry, qui était parti toute la nuit, rentra vers dix heures. « Il y a une grande bande à environ quatre milles, dit-il. Elle vient par la route du Carrefour, mais un bon nombre de bandits isolés se sont joints à eux. Ils doivent être bien près d’une centaine, et ils incendient tout au passage. Malédiction ! »

« Ah ! Ceux-là ne s’arrêteront pas à parler, ils tueront s’ils le peuvent, dit le Père Chaumine. Si les Touque n’arrivent pas avant, on ferait mieux de se mettre à l’abri et de tirer sans discussion. Il y aura un combat avant que tout ne soit réglé, Monsieur Frodon, c’est inévitable. »

Mais les Touque arrivèrent avant. Ils firent bientôt leur entrée, au nombre d’une centaine, venant de Bourg de Touque et des Collines Vertes avec Pippin à leur tête. Merry eut alors suffisamment de robuste hobbiterie pour recevoir les bandits. Des éclaireurs rendirent compte que ceux-ci se tenaient en troupe compacte. Ils savaient que le pays s’était soulevé contre eux, et ils avaient clairement l’intention de réprimer impitoyablement la rébellion, en son centre de Lézeau. Mais, si menaçants qu’ils pussent être, ils semblaient n’avoir parmi eux aucun chef qui s’entendît à la guerre. Ils avançaient sans aucune précaution. Merry établit vite ses plans.

Les bandits arrivèrent d’un pas lourd par la Route de l’Est, et tournèrent sans s’arrêter dans la Route de Lézeau, qui montait sur une certaine distance entre de hauts talus surmontés de haies basses. Derrière un coude, à environ un furlong de la route principale, ils se trouvèrent devant une forte barricade faite de vieilles charrettes renversées. Cela les arrêta. Ils s’aperçurent au même moment que les haies des deux côtés, juste au-dessus de leurs têtes, étaient entièrement bordées de hobbits. Derrière eux, d’autres poussèrent encore des charrettes qui étaient cachées dans les champs, et bloquèrent ainsi la retraite. Une voix parla d’en haut.

« Eh bien, vous avez pénétré dans un piège, dit Merry. Vos amis de Hobbitebourg ont fait de même, l’un d’eux est mort, et les autres sont prisonniers. Jetez bas vos armes ! Puis retournez de vingt pas en arrière et asseyez-vous. Quiconque tentera de s’échapper sera abattu. »

Mais les bandits ne se laissèrent pas aussi aisément intimider, à présent. Quelques-uns obéirent, mais ils furent aussitôt invectivés par leurs camarades. Une vingtaine ou davantage se ruèrent en arrière et chargèrent les charrettes. Six furent abattus, mais les autres sortirent en trombe, tuant deux hobbits, et ils se dispersèrent dans la campagne en direction du Bout des Bois. Deux autres tombèrent dans leur course. Merry lança un puissant appel de cor, et des sonneries répondirent au loin.

« Ils ne feront pas beaucoup de chemin, dit Pippin. Toute la région fourmille de nos chasseurs, à présent. »

Derrière, les quatre-vingts Hommes environ pris au piège dans le chemin essayèrent d’escalader la barrière et les talus, et les hobbits durent en abattre un bon nombre à l’arc ou à la hache. Mais une certaine quantité des plus robustes et des plus acharnés sortirent, du côté ouest, et, plus déterminés à tuer qu’à s’échapper, attaquèrent furieusement leurs ennemis. Plusieurs hobbits tombèrent, et les autres fléchissaient, quand Merry et Pippin, qui se trouvaient du côté est, traversèrent et chargèrent les bandits. Merry lui-même tua le chef, une grande brute aux yeux louches qui ressemblait à un énorme orque. Puis il retira ses forces, enfermant le dernier reste des Hommes dans un grand cercle d’archers.

Tout fut enfin terminé. Près de soixante-dix des bandits gisaient morts sur le sol, et une douzaine étaient prisonniers chez les hobbits. Il y avait une trentaine de morts et une trentaine de blessés. Les bandits tués furent chargés sur des camions et emportés à une vieille sablière, où ils furent enterrés : dans le Puits de la Bataille, comme il fut appelé par la suite. Les hobbits tombés furent couchés ensemble dans une tombe creusée au flanc de la colline, où plus tard fut dressée une grande stèle au milieu d’un jardin. Ainsi se termina la Bataille de Lézeau, 1419, dernière livrée dans la Comté, et la seule depuis les Champs Verts, 1147, au loin dans le Quartier Nord. C’est pourquoi, bien qu’elle n’eût heureusement coûté que très peu de vies, un chapitre entier lui est consacré dans le Livre Rouge, et les noms de tous ceux qui y prirent part furent rassemblés dans un Rôle et appris par cœur par les historiens de la Comté. L’élévation très considérable des Chaumine en renommée et en fortune date de ce temps, mais dans tous les comptes rendus figurent en tête du Rôle les noms des Capitaines Meriadoc et Peregrïn.

Frodon avait été dans la bataille, mais il n’avait pas tiré l’épée, et son rôle principal avait été d’empêcher les hobbits de mettre à mort, dans la colère suscitée par leurs pertes, ceux des ennemis qui avaient jeté leurs armes. Le combat terminé et les tâches ultérieures fixées, Merry, Pippin et Sam le rejoignirent, et ils rentrèrent à poney avec les Chaumine. Ils prirent un tardif repas de midi, après quoi, Frodon dit avec un soupir : « Eh bien, je pense que le moment est venu de s’occuper du « Chef. »

« Oui, certes, le plus tôt sera le mieux, dit Merry. Et ne te montre pas trop doux ! C’est lui qui est responsable d’avoir amené ces bandits et de tout le mal qu’ils ont fait. »

Le Père Chaumine rassembla une escorte de deux douzaines de robustes hobbits. « Car ce n’est qu’une supposition qu’il ne reste aucun bandit à Cul de Sac, dit-il. On n’en sait rien. » Ils partirent alors à pied, Frodon, Sam, Merry et Pippin en tête.

Ce fut une des heures les plus tristes de leur vie. La grande cheminée s’éleva devant eux, et, comme ils approchaient du vieux village de l’autre côté de l’Eau, en passant entre des rangées de nouvelles et vilaines maisons, ils virent le nouveau moulin dans toute sa rébarbative et sale laideur : grand bâtiment de brique à cheval sur la rivière, qu’il polluait d’un débordement fumant et nauséabond. Tout au long de la Route de Lézeau, les arbres avaient été abattus.

Comme, traversant le pont, ils levaient le regard vers la colline, ils eurent le souffle coupé. Même la vision que Sam avait eue dans le Miroir ne l’avait pas préparé à ce qu’ils virent alors. La Vieille Grange de la rive ouest avait été jetée bas et remplacée par des rangées de baraques goudronnées. Tous les châtaigniers avaient disparu. Les berges et les bordures de haies étaient défoncées. De grands camions couvraient en désordre un champ battu, où il n’y avait plus trace d’herbe. Le Chemin des Trous du Talus n’était plus qu’une carrière de sable et de gravier. Au-delà, Cul de Sac était caché par un entassement de grandes cabanes.

« Ils l’ont coupé ! s’écria Sam. Ils ont abattu l’Arbre de la Fête ! » Il désignait l’endroit où s’était élevé l’arbre sous lequel Bilbon avait prononcé son Discours d’Adieu. Il gisait ébranché et mort dans le champ. Comme si ç’avait été le comble de l’abomination, Sam fondit en larmes.

Un rire mit fin à la crise. Un hobbit hargneux était paresseusement accoudé au mur bas de la cour du moulin. Il avait la figure sale et les mains noires. « T’aimes pas ça, Sam ? dit-il en ricanant. Mais t’as toujours été niais. Je te croyais parti dans un de ces bateaux dont tu caquetais, naviguant, naviguant. Pourquoi que tu reviens ? On a du travail à faire dans la Comté, à présent. »

« C’est ce que je vois, dit Sam. Pas le temps de se laver, mais tout le temps de se pencher sur les murs. Mais, dis donc, Maître Rouquin, j’ai un compte à régler dans ce village et ne l’allonge pas de tes railleries, ou tu auras à payer une note trop grosse pour ta bourse. »

Ted Rouquin cracha par-dessus le mur. « Allons donc ! dit-il. Tu ne peux pas me toucher. Je suis un ami du Patron. Mais lui te touchera bel et bien, si tu continues à jacter comme ça. »

« Ne dépense pas ta salive pour cet imbécile, Sam ! dit Frodon. J’espère qu’il n’y a pas beaucoup d’autres hobbits à être devenus comme cela. Ce serait pire que tout le mal que les Hommes ont fait. »

« Tu es sale et insolent, Rouquin, dit Merry. Et tu te trompes aussi lourdement. Nous gravissons justement la Colline pour chasser ton beau Patron. Nous avons réglé leur compte à ses Hommes. »

Ted resta bouche bée, car il apercevait alors l’escorte qui, sur un signe de Merry, s’avançait sur le pont. Il se précipita dans le moulin et revint en courant avec un cor, dont il sonna puissamment.

« Économise ton souffle ! dit Merry, riant. J’ai mieux. » Élevant alors son cor d’argent, il en lança un clair appel, qui résonna par-dessus la Colline, et de tous les trous, baraques et minables maisons de Hobbitebourg, les hobbits répondirent, ils se déversèrent au-dehors et, avec des vivats et des acclamations, ils emboîtèrent le pas à la compagnie pour monter vers Cul de Sac.

Au sommet du chemin, la troupe s’arrêta, et Frodon et ses amis continuèrent seuls, ils arrivèrent enfin à l’endroit autrefois bien-aimé. Le jardin était rempli de buttes et de baraques, dont certaines si proches des anciennes fenêtres à l’ouest qu’elles en coupaient toute la lumière. Il y avait des tas d’ordures de tous côtés. La porte était tailladée, la chaîne de la sonnette pendillait librement, et la sonnette ne donna aucun son. Les coups n’amenèrent aucune réponse. Ils finirent par donner une poussée sur la porte, qui céda. Ils entrèrent. L’intérieur empestait, des ordures traînaient et le désordre régnait partout, l’endroit semblait inhabité depuis quelque temps déjà.

« Où se cache ce misérable Lothon ? » dit Merry. Ils avaient fouillé toutes les pièces sans trouver d’autres créatures vivantes que des rats et des souris. « Allons-nous nous tourner vers les autres pour fouiller les baraques ? »

« C’est pire que le Mordor ! dit Sam. Bien pis, en un sens. Ça vous touche au vif, parce que c’est chez nous et qu’on s’en souvient tel que c’était avant que tout art été ruiné. »

« Oui, c’est le Mordor, dit Frodon. Exactement une de ses œuvres. Saroumane l’accomplissait, même quand il pensait travailler pour lui-même. Et ç’a été la même chose pour ceux que Saroumane a abusés, comme Lothon. »

Merry jeta alentour un regard consterné de dégoût. « Sortons ! dit-il. Si j’avais su tout le mal qu’il avait causé, j’aurais enfoncé ma blague dans la gorge de Saroumane. »

« Sans aucun doute, sans aucun doute ! Mais vous ne l’avez pas fait, et je suis ainsi en état de vous accueillir à la maison. »

Debout dans la porte se tenait Saroumane en personne, l’air bien, nourri et tout content, ses yeux brillaient de malice et d’amusement.

Une lumière soudaine éclaira Frodon : « Sharcoux ! » s’écria-t-il.

Saroumane rit. « Ainsi vous avez entendu mon nom ? Tous mes gens m’appelaient ainsi en Isengard, je pense. Une marque d’affection[2]. Mais vous ne vous attendiez manifestement pas à me trouver ici. »

« Certes non, dit Frodon. Mais j’aurais pu le deviner. Un petit mauvais coup à votre mesquine façon : Gandalf m’avait prévenu que vous en étiez encore capable. »

« Tout à fait capable, dit Saroumane, et c’est plus qu’un petit coup : Vous m’avez fait rire, vous autres petits seigneurs hobbits, chevauchant avec tous ces grands, si bien en sécurité et satisfaits de votre petit, personne. Vous pensiez vous être fort bien tirés de tout et pouvoir rentrer tout tranquillement jouir d’une aimable paix au pays. La maison de Saroumane pouvait bien être en ruine, il pouvait être dehors, mais personne ne pouvait toucher à la vôtre. Oh non ! Gand s’occuperait de vos affaires. »

Saroumane rit derechef. « Pas lui ! Quand ses outils ont rempli leur, tâche, il les laisse tomber. Mais vous allez vous pendre à ses trousses, musardant et bavardant, et chevauchant ainsi deux fois plus loin qu’il n’était nécessaire. « Eh bien, me suis-je dit, s’ils sont aussi benêts, je vais les devancer et leur donner une leçon. À mauvais tour, mauvais tour et demi. » La leçon aurait été plus dure si seulement vous m’aviez laissé un peu plus de temps et un peu plus d’Hommes. Mais j’en ai déjà fait assez pour que vous ayez peine à le réparer ou le défaire du restant de votre vie. Et il sera agréable de penser à cela et de le mettre en parallèle avec les torts que j’ai subis. »

« Eh bien, si c’est en cela que vous trouvez votre plaisir, je vous plains, dit Frodon. Ce ne sera qu’un plaisir du souvenir, je crains : Partez immédiatement pour ne jamais revenir. »

Les hobbits du village avaient vu Saroumane sortir de l’une des baraques, et ils étaient montés immédiatement en foule à la porte des, Cul de Sac. En entendant l’ordre de Frodon, ils murmurèrent avec colère :

« Ne le laissez pas partir ! Tuez-le ! C’est un scélérat et un meurtrier. Tuez-le ! »

Saroumane jeta un regard circulaire sur leurs visages hostiles, et il sourit. « Tuez-le ! dit-il, se moquant. Tuez le, si vous vous croyez en nombre suffisant, mes braves hobbits ! » Il se redressa de toute sa hauteur et leur jeta un regard menaçant de ses yeux noirs. « Mais ne vous imaginez pas qu’en perdant mes biens, j’aie perdu tout mon pouvoir ! Quiconque me frappera sera maudit. Et si mon sang souille la Comté, elle dépérira et ne s’en remettra jamais. »

Les hobbits reculèrent. Mais Frodon dit : « Ne le croyez pas ! Il a perdu tout pouvoir, sauf sa voix qui peut encore vous intimider et vous abuser, si vous le laissez faire. Mais je ne veux pas qu’il soit tué. Il ne sert à rien de, répondre à la vengeance par la vengeance : cela ne guérira rien. Partez, Saroumane, par le chemin le plus court ! »

« Serpent ! Serpent ! » cria Saroumane, et Langue de Serpent sortit d’une cabane voisine, presque à la manière d’un chien. « En route de nouveau, Serpent ! dit Saroumane. Ces belles gens et petits seigneurs nous remettent sur le pavé. Viens ! »

Saroumane se détourna pour partir, et Langue de Serpent le suivit d’un pas traînant. Mais au moment où Saroumane passait tout près de Frodon, un poignard étincela dans sa main, et il en porta un coup rapide. La lame dévia sur la cotte de mailles cachée et se cassa net. Une douzaine de hobbits, Sam en tête, bondirent en avant en poussant un cri et jetèrent le scélérat à terre. Sam tira son épée.

« Non, Sam ! dit Frodon. Ne le tue pas, même maintenant. Et de toute façon, je ne veux pas qu’il soit mis à mort dans ce mauvais état d’âme. Il fut grand, d’une noble espèce sur laquelle on ne devrait pas oser lever la main. Il est tombé, et sa guérison nous dépasse, mais je voudrais encore l’épargner dans l’espoir qu’il puisse la trouver. »

Saroumane se remit sur pied et fixa les yeux sur Frodon. Il y avait dans son regard en même temps de l’étonnement, du respect et de la haine. « Vous avez grandi, Semi-homme, dit-il. Oui, vous avez beaucoup grandi. Vous êtes sage, et cruel. Vous avez retiré toute douceur à la vengeance, et maintenant, il me faut partir d’ici l’amertume au cœur en reconnaissance de votre miséricorde. Je la hais et vous aussi ! Eh bien, je m’en vais et je ne vous inquiéterai plus. Ne comptez pas toutefois que je vous souhaite santé et longue vie. Vous n’aurez ni l’une ni l’autre. Mais ce n’est pas de mon fait. Je vous le prédis, simplement. »

Il s’éloigna, et les hobbits ouvrirent un chemin pour son passage, mais on put voir blanchir les articulations de leurs mains, crispées sur leurs armes. Après un instant d’hésitation, Langue de Serpent suivit son maître.

« Langue de Serpent ! appela Frodon. Vous n’êtes pas obligé de le suivre. Je ne sache pas que vous m’ayez fait aucun mal. Vous pouvez avoir ici repos et nourriture pendant quelque temps, jusqu’à ce que à vous ayez repris des forces et soyez en état de suivre votre propre chemin. »

Langue de Serpent s’arrêta et se retourna vers lui, à demi prêt à rester. Saroumane fit demi-tour. « Aucun mal ? fit-il avec un petit rire sec. Oh non ! Même quand il se glisse au-dehors la nuit, ce n’est que pour contempler les étoiles. Mais n’ai-je pas entendu quelqu’un demander où se cachait le pauvre Lothon ? Tu le sais, n’est-ce pas, Serpent ? Veux-tu le leur dire ? »

Langue de Serpent se tassa sur lui-même et dit d’un ton geignard :

« Non, non ! »

« Eh bien, je vais le faire, dit Saroumane. Serpent a tué votre Chef, ce pauvre petit type, votre gentil petit patron. N’est-ce pas, Serpent ? Il l’a poignardé dans son sommeil, je pense. Il l’a enterré, j’espère, bien que Serpent ait eu grand-faim ces derniers temps. Non, Serpent n’est pas vraiment gentil. Vous feriez mieux de me le laisser. »

Un regard de haine sauvage parut dans les yeux rouges de Langue de Serpent. « C’est vous qui m’avez dit de le faire, vous m’y avez obligé », siffla-t-il.

Saroumane rit. « Tu fais ce que Sharcoux dit toujours, n’est-ce pas, Langue de Serpent ? Eh bien, maintenant, il te dit : suis-moi ! » Il décocha un coup de pied dans la figure de Langue de Serpent, à plat ventre, après quoi, il se retourna et s’en fut. Mais là-dessus, il y eut un bruit sec : Langue de Serpent se dressa soudain, tirant un poignard caché, et, avec un grognement de chien en colère, il bondit sur le dos de Saroumane, lui tira la tête en arrière, lui trancha la gorge et s’enfuit en hurlant dans le chemin. Avant que Frodon ne pût se ressaisir ou dire un mot, trois arcs de hobbits vibrèrent, et Langue de Serpent tomba mort.

À l’effroi des assistants, une brume grise s’amassa autour du corps de Saroumane, elle s’éleva lentement à une grande hauteur comme la fumée d’un feu et, sous la forme d’un corps enveloppé d’un linceul, s’estompa par-dessus la Colline. Elle flotta un moment, tournée vers l’Ouest, mais de là vint un vent froid, elle s’infléchit et, sur un soupir se résorba en néant.

Frodon abaissa sur le cadavre un regard de pitié et d’horreur, car sous ses yeux il sembla que de longues années de mort y étaient soudain révélées : il se ratatina, et le visage desséché ne fut plus que des lambeaux de peau sur un crâne hideux. Soulevant le pan du manteau sale étalé à côté, Frodon l’en recouvrit et se détourna.

« Et voilà la fin de cela, dit Sam. Une vilaine fin, et je souhaiterais ne pas avoir dû y assister, mais c’est un bon débarras. »

« Et la fin finale de la Guerre, j’espère », dit Merry. »

« Je l’espère aussi », dit Frodon, en soupirant. Le tout dernier coup. Mais penser que cela devait se passer ici, à la porte même de Cul de Sac ! Parmi tous mes espoirs et toutes mes craintes, je ne me serais jamais attendu à cela en tout cas. »

« Je n’appellerai cela la fin que lorsqu’on aura remis en ordre tout ce gâchis, dit Sam d’un air sombre. Et il y faudra beaucoup de temps et de peine. »

 

Le Retour du roi
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